Concert Germanopratin

Publié le par Tanaka









Mardi soir 21hr.
Eglise St Germain.
J'arrive en trottinant, un peu ric-rac donc malheureusement fidèle à moi-même. Passage de 3 barrages d'hôtes et d'hôtesses pour enfin parvenir à me faire conduire et je discute la place avec une hôtesse, souhaitant qu'elle m'en trouve une plus avantageuse. Arrivé trop tard je n'aurais pas de visu sur les mains du pianiste! Mon retard est ainsi durement sanctionné, je passerais le concert dans le transept. Sur la droite, face au pianiste.
L'Eglise est grande, remplie à craquer.

Sur l'estrade trône un demi-queue Steinway & Sons et des images me reviennent :  cette journée passée à Genève il y a une 10aine d'années. Un magasin de piano. Pour la première fois de ma vie je vois un Steinway, la roll's des pianos -même si les écoles se partagent et qu'il faut reconnaitre que Yamaha truste aussi une bonne partie du marché des pianos de concert, mais ici je ne discuterais pas ce point-. Choc! Je m'approche. Touche. Admire. Puis m'assieds, ému, pour jouer.
Jouer sur un Steinway c'est un mélange inexplicable : comme piloter une voiture de sport et écouter un disque, je m'explique.


Piloter une voiture de sport : en jouant on se rend vite compte que le potentiel de l'instrument est conséquent, mais on sait aussi très vite que l'on a pas la technique qui nous permettrait d'en tirer pleinement profit. La mécanique est parfaite et  un instrument racé comme celui-là ne connait pas de limite : il répond au 1/4 de tour, sonne excatement comme vous voulez qu'il sonne et une petite envolée vous montre bien qu'il a un coffre tout simplement ahurissant!!!!

Ecouter un disque  : le son est simplement parfait, juste clair et cristallin. Précis, le martèlement de la corde est exact et il transcrit parfaitement ce que vous voulez. Un son tellement parfait qu'il s'assimile à celui d'un disque.

Le Steinway trône disais-je.
Assis sur ma chaise craquante -car toutes les chaises craquent à l'Eglise St Germain, véridique!-, j'attends.
Il arrive : chemise noire et mauve, jean's blanc et bottines en daim marron.
Brad Mehldau fait terriblement jeune ce soir, on lui donne 25 ans à tout casser.

Il s'assied au piano commence à jouer et soudain l'église nous fait oublier le caractère profane de ce concert et redevient, de fait, un lieu sacré.
Il faudra à Brad Mehldau trois morceaux pour prendre ses marques et se sentir à l'aise...suffisament pour nous offrir 2h de concert et effectuer 4 rappels. Du grand Meldhau. Le concert était magnifique. Certes il n'a pas les lignes mélodiques et la tendance à l'hymne d'un Keith Jarrett, mais sa maîtrise harmonique, mélodique et contrapuntique est fascinante!! Son jeu est complexe, étoffé, sensible -il se définit lui-même comme un romantique-. Il sait rythmer parfaitement un morceau, le destructurer pour le recoudre, en prenant son temps, pièce par pièce autour d'une mélodie, passer de la douceur à la tempête en un rien de temps sans vous surprendre. Mélodies chantantes, d'apparence spontanée et parfaite maîtrise de plusieurs voix.

Un puriste comme moi, dira bien qu'il ne s'agit  "que" d'improvisation partielle à partir de compositions de son cru et que l'exercice en est par conséquent simplifié -par opposition à un K.Jarrett, je sais ça fait deux fois que je le cite :-), qui réalise des lives d'improvisation totale, mais qui en contre partie rencontre souvent de longs passages à vide- force est de constater que sa technique et sa vélocité n'ont d'égal que son imagination et son originalité -auteur de transcriptions de morceaux de RadioHead, il avoue être fan du groupe. En revanche nous n'avons pas eu le retour de RadioHead sur son travail...-

Autant j'avoue m'être régalé de ce concert, autant j'avoue ne pas avoir aimé son dernier en trio à l'Olympia. C'était un jazz "intellectuel". Il vous fatigue de concentration pour suivre ses destructuratons parfois tellement radicales que son style pourrait s'apparenter à un free jazz pur jus. Concentré pendant tout le concert je me torturais les méninges à retrouver les lignes mélodiques, tout en battant la mesure pour savoir si je devais suivre la batterie, la contrebasse ou le piano, tout en suivant les 3 instruments et j'essayais de comprendre ses choix harmoniques souvent  dissonnant. Inutile de dire que l'exercice entâme nettement le plaisir de l'écoute et anéanti toute tentative de dialogue entre la beauté du morceau et votre sensibilité venue, en tout bien tout honneur, se faire malmenée.

Le public de Brad Melhdau est assez atypique : plutôt jeune dans son ensemble il apprécie visiblement sa musique sans rien connaître au genre. Explications. Au concert donné à l'Olympia le jeu du trio était tout ce qu'il y a de plus classique(!)...en jazz : Intro, jeu en commun, soli des musiciens, fin en commun. Le jazz a cette particularité que vous pouvez applaudir après l'introduction une fois celle-ci achevée parce qu'elle représente un joli solo ou une belle impro ou parce que le standard joué a été identifié ou parce que les retrouvailles des 3 musiciens se sont  faites d'une façon totalement synchrone, puis vous pouvez applaudir la performance solo de chaque musicien et enfin la fin du morceau. Tous les concerts auxquels j'ai assisté ou que j'ai pu écouter se déroulent de la sorte...sauf celui de Brad Melhdau à l'Olympia! Les spectateurs, non habitués, avaient la discipline quasi-protestante des spectateurs de classique : applaudissements à la fin et c'est marre! Dieu merci, les bonnes vieilles habitudes ont été rapidement réinstaurées, mais timidement, par des spectateurs professionnels vieux de la vieille à qui ont ne la fait pas Monsieur!
Ce soir visiblement même public = même pratique!!!

Brad Meldhau se bat avec son piano dans cette église à l'acoustique résonnante, se démène sur sa chaise craquante(doit-on y voir du Gould?),nous promène avec des intro non identifiées qui durent parfois aussi longtemps que le morceau et à la fin de l'introduction, lorsque les quelques notes qui permettent l'identification du morceau sonnent : pas un seul petit applaudissement pour venir féliciter et l'inspiration et l'improvisation et ce morceau à part entière. Rien. Ils écoutent sagement.
Cela me surprend et confirme bien que son public n'est pas composé de férus de jazz mais touchent beaucoup de djeun's qui découvrent un jazz contemporain, accessible et proche d'eux(cf les 2 superbes reprises de RadioHead Exit For A Film & Paranoid Android (cf dans la même veine E.S.T, K.Jarret, B.Trotignon, M.Cyrin..)
Brad Meldhau à St Germain : un superbe concert et beaucoup de plaisir en récompense.
Pour les connaisseurs :  son "Paranoid Android" a duré pratiquement 20 minutes et j'avoue me le repasser de temps à autre...pour ne pas oublier...

Retour chez moi par la rue de Rennes.

A pied bien sûr, sinon je ne serais pas le blogueur qui marche.

Et ce sont ces moments là qui, croyez-moi, vous font follement aimer Paris.


Publié dans Tanaka

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F
J'y étais moi aussi, vue sur la mg tt le tps, je lui ai parlé après le concert...Il a réussi à rendre des passages atonaux magnifiques.
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